Prescriptivisme universel en méta-éthique : un émotivisme éclairé ?
Au-delà de l’éthique appliquée et normative, la méta-éthique s’est donné pour travail l’étude de la nature des attributs moraux et de la légitimité des distinctions entre le « bien » et le « mal ».
Les fondamentaux de la méta-éthique se concentrent sur la dichotomie entre le cognitivisme moral et le non-cognitivisme. Le premier courant philosophique défend une morale avec des caractéristiques objectives, basées sur des propositions pouvant être vraies ou fausses, tandis que le non-cognitivisme soutient une morale ne pouvant pas être jugée de fait car n’appartenant pas aux attributs naturels de ce monde.
Ainsi, les différents courants méta-éthiques se classent par une sorte de phylogénie, dont la première distinction est l’appartenance au cognitivisme ou à son opposé.
Le prescriptivisme universel, théorisé par Hare en 1952 dans The Language of Morals, appartient au non-cognitivisme, et détaille une version de la méta-éthique où toutes les propositions morales seraient des recommandations à portée universelle, où un jugement impliquerait une composante prescriptive, généralisable et sincère envers l’auteur. Il est possible d’approcher, grossièrement, le prescriptivisme au Décalogue, avec par exemple la Cinquième Loi (« Tu ne commettras point de meurtres ») :
Composante prescriptive : Je recommande le fait de ne pas commettre de meurtres.
Composante universelle : Je souhaite que cette recommandation soit étendue à l’échelle universelle.
Sincérité : En énonçant cette prescription, je m’engage à ne pas commettre de meurtres.
(Note : la majorité des traductions modernes de l’Ancien Testament sont erronées concernant la cinquième loi des Dix Commandements, confondant le verbe « rasaḥ » signifiant tuer, et « tirsaḥ », n’ayant pas de traduction littérale mais signifiant « commettre un meurtre ».)
Ainsi, au travers du prisme de la méta-éthique, énoncer un jugement moral équivaut à l’inscription de celle-ci dans une morale universelle, par une maxime. On pourrait ainsi faire l’amalgame entre le prescriptivisme et l’impératif catégorique kantien, et bien qu’il soit possible de tirer des finalités communes entre ces deux théories, cette association est fallacieuse pour plusieurs raisons ; premièrement, l’impératif kantien s’inscrit dans le cadre de l’éthique normative, donc dans une recherche de ce qu’il est bon de faire, et non dans le cadre d’une recherche du sens des attributs moraux ou d’une proposition (dans le cadre du cognitivisme). De plus, l’impératif catégorique repose sur l’examen de la raison, qui fera émaner une loi universelle par son exercice, et est d’ailleurs motivée par le respect de la loi morale, qui est en elle-même son devoir. Là où l’impératif catégorique décrit la raison comme universelle et motrice de la morale, le prescriptivisme détaille uniquement le cheminement du jugement moral, devenant pour l’individu une prescription universelle.
Un des arguments pouvant prouver la faiblesse de l’argumentaire prescriptiviste se trouve dans l’examen du discours des fanatiques, exercice de pensée classiquement étudié pour tester la valeur des différentes théories méta-éthiques : est-ce que l’exercice de la morale d’un fanatique, donc clairement falsifiée, serait justifiée par le prescriptivisme ? Un fanatique qui justifierait ses actions par le fait qu’elles s’inscrivent de facto dans une prescription universelle ne tiendrait pas compte du troisième principe du prescriptivisme, celui de la sincérité : peu de fanatiques seraient consentants concernant le fait de subir le même traitement qu’ils pourraient réserver à leurs victimes. Ainsi, le prescriptivisme n’est pas discrédité par cet argument.
Bien que l’intitulé soit simplifié, oubliant les particularités distinctives de l’émotivisme et du prescriptivisme, il est possible d’établir une évolution dans la perception humaine du juge. L’émotivisme, l’un des concepts les plus étudiés du non-cognitivisme, détaille le jugement moral comme une simple réaction affective à une situation; la réaction morale est purement expressive, sans aucune possibilité d’étudier quelconque proposition. Ainsi, l’émotivisme se réduit en une réponse, quasiment infantile, de différents dilemmes proposés au juge.
Ces deux courants appartiennent au même registre; il n’est possible d’affecter une vérité à l’expression du prescriptivisme ou de l’émotivisme. Néanmoins, le passage de l’émotivisme au prescriptiviste pour le juge est témoin de la prise de conscience de la réalité de ce dernier : l’affect, nu, n’est utile qu’à son propre auteur. Enrober son émotivisme au profit du prescriptivisme permet au juge d’y ajouter une certaine cohérence morale. En effet, il est nécessaire pour ce dernier d’élever sa morale au rang universel, et donc, de s’y soumettre. L’universalisation de l’émotivisme permet une forme d’empathie rationnelle : si je désapprouve d’un fait, je dois me le proscrire de le réaliser. Ainsi, ce courant permet une certaine tempérance dans l’approbation et le dégoût envers autrui. Le prescriptivisme est aussi un courant connaissant le contenu de la morale : il ne peut pas venir froidement de la simple raison pure, mais il provient aussi de nos désirs et inclinaisons. Bien que la méta-éthique soit la branche de l’éthique la plus abstraite, le prisme apporté recentre le jugement moral sur la réciprocité, bien plus atteignable que l’étude par la raison. Comme dit précédemment, il est fallacieux de comparer l’impératif catégorique au prescriptivisme, mais notre modèle détaille certaines lacunes d’Emmanuel Kant, dont l’argument de logique interne : il est tout à fait possible d’universaliser la maxime égoïste avec la maxime altruiste; là où Kant nous impose la raison pure, Hare nous demande la cohérence morale (Hare néanmoins détaille que l’impératif catégorique comme prescription universelle et non comme commande métaphysique est puissante contre l’injustice et le fanatisme). Ce que dicte le prescriptivisme, c’est donc la compréhension de l’autre et la sincérité morale dans ce qui détermine le bien et le mal.
txto